26/10/2014
CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX
Maître Yang Lu Chan
Le manteau magique
Yang Lu Chan, après une visite qui s'était prolongée tard dans la nuit, retournait chez lui. Il traversait un quartier mal famé de Pékin et marchait à grandes enjambées, soucieux de passer rapidement. Mais au coin d'une ruelle, une bande de malfrats l'attendait ; il tenta de fuir, mais le groupe était nombreux et armé de bâtons, gourdins, matraques et l'encerclait déjà.
Lu Chan, vu le nombre élevé de ses adversaire, ne tenta même pas de se défendre ; il s'enroula dans son manteau dès le début de l'attaque et se laissa tomber à terre. La bande se déchaîna sur cette proie facile qu'ils assimilèrent vite à un sac d'entraînement.
Au bout d'un moment, les voyous épuisés se lassèrent de frapper ce sac inerte et, pensant qu'il avait eu son compte, l'abandonnèrent à son sort, convaincus qu'il ne pouvait en avoir réchappé. Le lendemain, Lu Chan se livrait à ses activités quotidiennes comme si rien n'était arrivé, sans aucune trace de coup pour attester d'une bastonnade.
Mais chez les malfrats, plusieurs d'entre eux étaient couchés en proie à des douleurs comme s'ils s'étaient fait battre. En Chine, on dit que des Maîtres tels que lui ont atteint un tel niveau de Chi, d'énergie interne, que leur corps est capable d'absorber les coups et de retourner l'énergie contre leur agresseur.
Par contre lorsqu'ils vous touchent, paralysé par leur énergie, vous êtes projeté violemment avec l'énergie d'une montagne. C'est pourquoi Lu Chan a préféré donner une leçon à ces voyous plutôt que de risquer de les blesser.
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08/10/2014
CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX
Yang Luchan (1799-1872 )
Le voleur de Connaissance
Né au début du XIX°siècle dans une famille paysanne du Ho-Pei, le jeune Yang Lu Chan n'avait qu'une passion : le Chuan-Shu, l'Art du poing. Ayant fréquenté assidûment dès son enfance les écoles d'Arts Martiaux de sa province, il avait atteint très tôt le rang d'un expert réputé. Mais les styles qu'il avait pratiqués jusque-là ne le satisfaisaient pas. Il avait conscience que, depuis la destruction du monastère de Shaolin, l'Art du poing avait lentement dégénéré en une méthode de combat qui faisait une trop grande place aux recettes techniques et à la force musculaire. Malgré ses recherches dans tous les recoins du Ho-Pei, il ne parvenait pas à y découvrir un Maître susceptible de lui enseigner un Art plus profond qui déboucherait sur la voie de l'harmonie. Son désespoir prit fin quand il entendit parler du Tai Chi Chuan, Art qui commençait à se populariser dans une autre province : le Honan.
Abandonnant ses parents et amis, Yang entreprit un voyage à pied de plus de 800 kilomètres pour se rendre dans la patrie de l'Art qu'il désirait étudier. Dès qu'il le put, il se fit admettre dans les milieux fermés des pratiquants de Tai Chi. Au cours des conversations qu'il eut avec ceux-ci, un nom revenait souvent à ses oreilles : celui du Maître Chen Chang Hsiang. Cet homme passait pour celui qui, à l'époque, avait le plus haut "Kung fu", c'est-à-dire la plus grande expérience. Mais, hélas, le Maître Chen enseignait exclusivement aux membres de sa famille, dans le plus grand secret.
Ch'en Chang-hsing (1771–1853)
Yang pensa qu'après un si long voyage, il méritait d'étudier avec le meilleur. Adroitement, il réussit à se faire engager dans la famille Chen comme serviteur. Chaque jour, il se débrouillait pour épier en cachette l'entraînement familial sous la conduite du patriarche. Soigneusement dissimulé, il observait attentivement les mouvements, il buvait les paroles et conseils du Maître. Pendant une partie de la nuit, quand tout le monde dormait, il s’exerçait à refaire ce qu'il avait vu dans la journée et à polir inlassablement les enchaînements qu'il avait appris les jours précédents.
Son espionnage se poursuivit plusieurs mois sans éveiller de soupçon... jusqu'au jour où il fut pris en flagrant délit. Aussitôt conduit devant le Maître Chen, il s'attendait au pire. Le vieil homme paraissait en effet fort mécontent et le ton de sa voix trahissait une certaine irritation :
- "Eh bien, jeune homme, il semble que vous ayez abusé de notre confiance. Vous vous êtes introduit ici dans le seul but d'espionner notre enseignement, n'est-ce-pas?"
- "Effectivement", avoua Yang.
- "Je ne sais pas encore ce que nous allons faire de vous. En attendant, je serais curieux de voir ce que vous avez pu apprendre dans de telles conditions. Pouvez-vous me faire une démonstration?"
Yang exécuta alors un enchaînement avec une concentration et une fluidité telles que le vieux Chen fut profondément bouleversé de voir un reflet si fidèle de son Art. Il se garda bien de manifester son émotion et resta silencieux un long moment avant de déclarer :
- "Ce serait idiot de vous laisser partir avec le peu que vous connaissez. Vous risqueriez de ternir la réputation de notre famille en montrant notre Art de façon incomplète. Le mieux serait que vous restiez ici le temps de terminer votre apprentissage et, cette fois, sous ma direction !"
Demeurant encore de nombreuses années dans la famille Chen, Yang intégra de plus en plus profondément l'Art suprême du Tai Chi. Ce n'est qu'après avoir reçu la bénédiction de son vieux Maître qu'il repartit dans sa province natale.
A Pékin, où il décida de s'installer pour enseigner son Art, on ne tarda pas à l'appeler 'l'insurpassable Yang". En effet, bien que souvent défié par d'autres professeurs ou par de jeunes champions, il ne fut jamais vaincu. Ses combats contribuèrent à renforcer la réputation du Tai Chi Chuan, d'autant plus qu'il parvenait à neutraliser ses adversaires sans jamais les blesser.
Transmission de Chen Changxing à Maître Yang Luchan ,
Village de Chen, Chine,
14/06/2014
CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX (Albin Michel 1981) #14
L'incroyable Chi
Un Maître du combat à main nue enseignait son Art dans une ville de province. Sa réputation était telle dans la région qu'il défiait toute concurrence : les pratiquants boudaient tous les autres professeurs. Un jeune expert voulut en finir de ce monopole, de ce règne. L'expert se présenta à l'école, un vieillard lui ouvrit la porte. Sans hésiter le jeune homme annonça son intention. Le vieil homme, visiblement embarrassé, tenta de lui expliquer combien cette idée était suicidaire, étant donné la redoutable efficacité du Maître. Pour impressionner ce vieux radoteur qui semblait douter de sa force, l'expert s'empara d'une planche et, d'un coup de genou, il la cassa en deux. Le vieillard demeura imperturbable. Le visiteur insista à nouveau pour combattre avec le Maître, menaçant de tout casser. Le vieux bonhomme le pria alors d'attendre et il disparut. Quand il revint peu après, il tenait à la main un énorme morceau de bambou. Il le tendit au jeune en lui disant : "- Le Maître a l'habitude de casser avec un coup de poing des bambous de cette taille. Je ne peux prendre au sérieux votre requête si vous n'êtes pas capable d'en faire autant." S'efforçant de faire subir au bambou le même sort que la planche, le jeune présomptueux dut finalement renoncer, épuisé, les membres endoloris. Il déclara qu'aucun homme ne pouvait casser ce bambou à main nue. Le vieillard répliqua que le Maître, lui, le pouvait. Il conseilla au visiteur d'abandonner son projet tant qu'il ne serait pas capable d'en faire autant. Excédé, l'expert jura de revenir et de réussir l'épreuve. Deux années passèrent pendant lesquelles il s'entraîna intensivement à la casse. Chaque jour il se musclait et durcissait son corps. Ses efforts portèrent leurs fruits car il se présenta à nouveau à la porte de l'école, sûr de lui. Le même petit vieux le reçut. Exigeant qu'on lui apporte l'un des fameux bambous pour le test, le visiteur ne tarda pas à le caler entre deux énormes pierres. Il se concentra quelques secondes, leva la main puis il cassa le bambou en poussant un cri terrible. Un sourire de satisfaction aux lèvres, il se retourna vers le frêle vieillard. Celui-ci fit un peu la moue et déclara : " Décidément, je suis impardonnable, je crois que j'ai oublié de préciser un détail ! le Maître casse le bambou … sans le toucher." Le jeune homme, hors de lui, répliqua qu'il ne croyait pas aux exploits de ce Maître dont il n'avait même pas pu vérifier la simple existence. Saisissant alors un solide bambou, le vieil homme le suspendit à une ficelle qu'il accrocha au plafond. Après avoir respiré profondément, sans quitter des yeux le bambou, il poussa alors un cri terrifiant qui venait du plus profond de son être, et sa main, telle un sabre, fendit l'air pour s'arrêter à 5 centimètres du bambou… qui éclata. Subjugué par le choc qu'il venait de recevoir, l'expert resta plusieurs minutes sans pouvoir dire un seul mot, pétrifié. Finalement, il demanda humblement pardon au vieux Maître pour son odieux comportement et le pria de l'accepter comme élève.
19/02/2014
CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX (Albin Michel 1981) #10
Une démonstration convaincante
Un rônin rendit visite à Matajuro Yagyu, illustre Maître de l'Art du sabre, avec la ferme intention de le défier pour vérifier si sa réputation n'était pas surfaite.
Le Maître Yagyu tenta d'expliquer au rônin que le motif de sa visite était stupide et qu'il ne voyait aucune raison de relever le défi. Mais le visiteur, qui avait l'air d'être un expert redoutable avide de célébrité, était décidé à aller jusqu'au bout. Afin de provoquer le Maître, il n'hésita pas à le traiter de lâche.
Matajuro Yagyu n'en perdit pas pour autant son calme mais il fit signe au rônin de le suivre dans son jardin. Il indiqua indiqua ensuite du doigt le sommet d'un arbre. Était-ce une ruse pour détourner l'attention ? Le visiteur plaça sa main sur la poignée de son sabre, recula de quelques pas avant de jeter un coup d’œil dans la direction indiquée. Deux oiseaux se tenaient effectivement sur la branche. Et alors ? Sans cesser de les regarder, le Maître Yagyu respira profondément jusqu'à ce qu'il laisse jaillir un Kiaï, un cri d'une puissance formidable. Foudroyés, les deux oiseaux tombèrent au sol, inanimés.
-" Qu'en pensez-vous ? " demanda Matajuro Yagyu à son visiteur.
-" In...incroyable... " balbutia le rônin, visiblement ébranlé comme si le Kiaï l'avait lui aussi transpercé.
-" Mais vous n'avez pas encore vu le plus remarquable... "
Le second Kiaï du Maître Yagyu retentit alors. Cette fois, les oiseaux battirent des ailes et s'envolèrent.
Le rônin aussi.