CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX (08/10/2014)
Yang Luchan (1799-1872 )
Le voleur de Connaissance
Né au début du XIX°siècle dans une famille paysanne du Ho-Pei, le jeune Yang Lu Chan n'avait qu'une passion : le Chuan-Shu, l'Art du poing. Ayant fréquenté assidûment dès son enfance les écoles d'Arts Martiaux de sa province, il avait atteint très tôt le rang d'un expert réputé. Mais les styles qu'il avait pratiqués jusque-là ne le satisfaisaient pas. Il avait conscience que, depuis la destruction du monastère de Shaolin, l'Art du poing avait lentement dégénéré en une méthode de combat qui faisait une trop grande place aux recettes techniques et à la force musculaire. Malgré ses recherches dans tous les recoins du Ho-Pei, il ne parvenait pas à y découvrir un Maître susceptible de lui enseigner un Art plus profond qui déboucherait sur la voie de l'harmonie. Son désespoir prit fin quand il entendit parler du Tai Chi Chuan, Art qui commençait à se populariser dans une autre province : le Honan.
Abandonnant ses parents et amis, Yang entreprit un voyage à pied de plus de 800 kilomètres pour se rendre dans la patrie de l'Art qu'il désirait étudier. Dès qu'il le put, il se fit admettre dans les milieux fermés des pratiquants de Tai Chi. Au cours des conversations qu'il eut avec ceux-ci, un nom revenait souvent à ses oreilles : celui du Maître Chen Chang Hsiang. Cet homme passait pour celui qui, à l'époque, avait le plus haut "Kung fu", c'est-à-dire la plus grande expérience. Mais, hélas, le Maître Chen enseignait exclusivement aux membres de sa famille, dans le plus grand secret.
Ch'en Chang-hsing (1771–1853)
Yang pensa qu'après un si long voyage, il méritait d'étudier avec le meilleur. Adroitement, il réussit à se faire engager dans la famille Chen comme serviteur. Chaque jour, il se débrouillait pour épier en cachette l'entraînement familial sous la conduite du patriarche. Soigneusement dissimulé, il observait attentivement les mouvements, il buvait les paroles et conseils du Maître. Pendant une partie de la nuit, quand tout le monde dormait, il s’exerçait à refaire ce qu'il avait vu dans la journée et à polir inlassablement les enchaînements qu'il avait appris les jours précédents.
Son espionnage se poursuivit plusieurs mois sans éveiller de soupçon... jusqu'au jour où il fut pris en flagrant délit. Aussitôt conduit devant le Maître Chen, il s'attendait au pire. Le vieil homme paraissait en effet fort mécontent et le ton de sa voix trahissait une certaine irritation :
- "Eh bien, jeune homme, il semble que vous ayez abusé de notre confiance. Vous vous êtes introduit ici dans le seul but d'espionner notre enseignement, n'est-ce-pas?"
- "Effectivement", avoua Yang.
- "Je ne sais pas encore ce que nous allons faire de vous. En attendant, je serais curieux de voir ce que vous avez pu apprendre dans de telles conditions. Pouvez-vous me faire une démonstration?"
Yang exécuta alors un enchaînement avec une concentration et une fluidité telles que le vieux Chen fut profondément bouleversé de voir un reflet si fidèle de son Art. Il se garda bien de manifester son émotion et resta silencieux un long moment avant de déclarer :
- "Ce serait idiot de vous laisser partir avec le peu que vous connaissez. Vous risqueriez de ternir la réputation de notre famille en montrant notre Art de façon incomplète. Le mieux serait que vous restiez ici le temps de terminer votre apprentissage et, cette fois, sous ma direction !"
Demeurant encore de nombreuses années dans la famille Chen, Yang intégra de plus en plus profondément l'Art suprême du Tai Chi. Ce n'est qu'après avoir reçu la bénédiction de son vieux Maître qu'il repartit dans sa province natale.
A Pékin, où il décida de s'installer pour enseigner son Art, on ne tarda pas à l'appeler 'l'insurpassable Yang". En effet, bien que souvent défié par d'autres professeurs ou par de jeunes champions, il ne fut jamais vaincu. Ses combats contribuèrent à renforcer la réputation du Tai Chi Chuan, d'autant plus qu'il parvenait à neutraliser ses adversaires sans jamais les blesser.
Transmission de Chen Changxing à Maître Yang Luchan ,
Village de Chen, Chine,
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