06/04/2014
Contes et récits des arts martiaux Ed. Poche
L'archer
A l'époque du Japon féodal, un maître archer instruisait son élève.
L'art du Kyudo est long et difficile. Les années passent, la vie s'écoule comme l'eau profonde d'un grand fleuve.
Quand le maître entendit sonner son heure, il convoqua son élève :
"poursuis la voie que nous avons tracée ensemble, je t'offre mon arc, car là où je vais, je n'en ai plus besoin".
Puis il ferma les yeux.
Après les funérailles, l'élève se remit à l'entraînement, mais à sa grande stupeur, la cible au fond du jardin avait disparu !
Le temps s'écoule, et comme les distractions ne manquent pas dans la vie, il décida d'en profiter.
L'intervalle entre les entraînements augmenta de plus en plus, d'autant plus que les soirées en ville se prolongeaient,
les geishas charmaient davantage que les longues heures de tir à l'arc…
De loin en loin, l'envie lui reprit de s'entraîner, mais l'arc devenait de plus en plus dur à bander ;
et on se lasse vite des cibles choisies au hasard.
Mieux vaut se changer les idées dans le bar du coin !
Les années passent, jusqu'au jour où l'arme du maître fut mise en vente :
à quoi bon garder un arc qu'on n'arrive plus à tendre ?
23/03/2014
CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX (Albin Michel 1981) #11
Le coeur de saule
Le médecin Shirobei Akayama était parti en Chine pour étudier la médecine, l'acupuncture et quelques prises de Shuai-Chiao, la lutte chinoise.
De retour au Japon, il s'installe près de Nagasaki et se met à enseigner ce qu'il avait appris. Pour lutter contre la maladie, il emploie de puissants remèdes. Dans sa pratique de la lutte, il utilise beaucoup de force. Mais devant une maladie délicate ou trop forte, ses remèdes sont sans effets. Contre un adversaire trop puissant, ses techniques restent inefficaces. Un à un ses élèves l'abandonnent. Shirobei, découragé, remet en question les principes de sa méthode. Pour y voir plus clair, il décide de se retirer dans un petit temple et de s'imposer une méditation de cent jours.
Pendant ces heures de méditations, il bute contre la même question, sans pouvoir y répondre : "opposer la force à la force n'est pas une solution car la force est battue par une force plus forte. Alors comment faire ?"
Or, un matin, dans le jardin du temple où il se promène alors qu'il neige, il reçoit enfin la réponse tant attendue : après avoir entendu les craquements d'une branche de cerisier qui cassa net sous le poids de la neige, il aperçoit un saule au bord de la rivière. Les branches souples du saule ployent sous la neige jusqu'à ce qu'elles se libèrent de leur fardeau. Elles reprennent alors leur place intactes.
Cette vision illumine Shirobei. Il redécouvre les grands principes du Tao. Les sentences de Lao-Tseu lui reviennent en tête :
Qui se plie sera redressé
Qui s'incline restera entier
Rien n'est plus souple que l'eau
Mais pour vaincre le dur et le rigide
rien ne le surpasse
La rigidité conduit à la mort
La souplesse conduit à la vie
Le médecin de Nagaski réforme complètement son enseignement qui prend alors le nom de Yoshinryu, l'école du coeur de saule, l'art de la souplesse, qu'il apprendra à de nombreux élèves.