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CONTES ET RECITS DES ARTS MARTIAUX (Albin Michel 1981) #6 (03/11/2013)

De main de Maître


Dokyo Yetan (1641-1721), le plus illustre Maître Zen de son époque, reçut un jour la visite d'un professeur de Ken-jutsu qui lui déclara : "Depuis ma plus tendre enfance je pratique l'Art du sabre. M'étant entrainé intensivement sous la direction de plusieurs Maîtres, j'ai réussi à intégrer parfaitement le style des écoles les plus fameuses. Mais malgré tous mes efforts pour y parvenir, je n'ai pas encore atteint la suprême illumination. Pourriez-vous me donner quelques conseils sur la méthode à adopter?"

Le Maître Zen se leva, s'approcha de son visiteur et lui demanda à voix basse d'être très attentif pour ne rien perdre de ce qui allait lui être confié. L'homme se pencha alors en avant pour tendre l'oreille... qui reçut une claque magistrale de la main de Dokyo Yetan. Ce dernier enchaîna ensuite par un puissant coup de pied. Avant de comprendre ce qui lui arrivait, le professeur de sabre perdit l'équilibre et le contact du parquet lui procura, paraît-il, un Satori, un Éveil spirituel.


Il faut croire que cette expérience fut décisive pour le visiteur car il ne tarda pas à devenir un Maître réputé. Sa remarquable évolution, qui se manifestait au yeux de tous dans la pratique de son art, intrigua plus d'un guerrier. Parmi ceux qui lui demandèrent son secret, beaucoup restaient incrédules quand il leur avouait qu'il résidait dans la méthode très spéciale du moine Dokyo Yetan.

Quelques-uns décidèrent cependant d'aller vérifier eux-mêmes.Ils ne furent pas déçus du voyage,c omme en témoigne le récit qui va suivre.


Trois samouraïs de haut rang avaient invité Dokyo Yetan à prendre une tasse de thé avec eux.

Ils le questionnèrent longuement sur le Zen mais, comme le Maître répondait d'une façon très énigmatique, l'un des samouraïs, quelque peu excédé, s'aventura à dire : "Vous êtes sûrement un grand Maître de Zen et à ce sujet nous ne sommes pas de taille à lutter avec vous. Mais, si la question de la concentration nécessaire pour un combat était évoquée, je crains que vous ne puissiez nous battre."
-"A votre place,je ne serais pas si catégorique .Voyez-vous, la vie m'a plus d'une fois montré qu'il ne fallait jamais conclure avant d'expérimenter", répliqua le moine.


_"Me permettez-vous vraiment de faire un combat avec vous ?" demanda le samouraï après avoir échangé un regard ironique avec ses compagnons.


-"Bien sûr, puisque c'est le seul moyen de vérifier si ce que vous avez dit est exact."


Le guerrier se munit d'un bokken et il en tendit un au moine. Mais celui-ci refusa en précisant : "je suis un bouddhiste et je ne veux pas porter une arme, fut-elle en bois. Mon éventail fera l'affaire. Frappez  sans hésiter. Si vous me touchez, j'admettrai que vous êtes un grand expert."


Certain de marquer dès les premiers coups et craignant de blesser le vieux moine, le samouraï avait attaqué gentiment, presque au ralenti. Mais peu à peu, il accéléra son rythme car ses attaques se perdaient dans le vide.

Voyant que le sabreur commençait à s'épuiser dans ses vaines tentatives, Dokyo Yetan demanda qu'on arrête le combat et il proposa : "Que diriez-vous de m'attaquer tous les trois en même temps ? Ce serait pour moi un excellent exercice et pour vous la chance de me battre."


Piqués au vif dans leur fierté de guerriers, les samouraïs essayèrent par tous les moyens de toucher le Maître. Mais il restait insaisissable. Si ce n'était pas son éventail qui déviait l'attaque, son corps parvenait toujours à s'effacer au dernier moment. Ses trois adversaires finirent par reconnaître leur défaite.

Convaincus non par un long sermon mais par cette stupéfiante démonstration, ils entreprirent d'aller voir d'un peu plus près quelle était l'essence du Zen. Inutile de vous dire à qui ils s'adressèrent...

Sur le chemin du retour, le jeune novice qui accompagnait le Maître ne put s'empêcher de lui demander quel était son secret pour éviter si habilement des attaques de sabres.

Dokyo Yetan expliqua : "Quand la juste vision est exercée et ne connaît aucun blocage, elle pénètre tout, y compris l'Art du sabre. Les hommes ordinaires ne s'occupent que des mots. Dès qu'ils entendent un nom, ils portent un jugement et restent ainsi attachés à une ombre. Mais celui qui est capable de la vraie vision voit chaque objet dans sa propre lumière. Dès qu'il aperçoit le sabre, il comprend aussitôt comment lui faire face. Il affronte la multiplicité des choses et n'est pas confondu."

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